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Une fille qui se livre au sexe par webcam contre rémunération est-elle une prostituée ?

March 15, 2023



Le sexe par webcam n'est pas un acte de prostitution et les sites pour adultes qui proposent du sexcam aux internautes ne peuvent pas être poursuivis pour proxénétisme. 

En tout cas, c'est ce qui est logiquement déductible de la décision de la Cour de cassation française qui juge : les activités de webcam à caractère sexuel ne relèvent pas de la prostitution « dès lors que [elles] n’impliquent aucun contact physique entre la personne qui se livre [à cette activité] et celle qui les sollicite ».

En effet, dans cette espèce, la Confédération Nationale des Associations Catholiques (CNAC) a porté plainte pour proxénétisme contre 4 sites pornographiques français. La plainte visait le comportement qui consiste pour des jeunes femmes à se livrer devant une caméra à des agissements sexuels qui sont retransmis en direct via Internet à des clients qui les sollicitaient contre rémunération. Une décision de non-lieu avait été rendue par le tribunal d'instance et la Cour d'appel a confirmé partiellement cette décision du tribunal. La CNAC a alors saisi la cour de cassation qui a jugé comme ci-dessus.

Pour motiver sa décision, la cour de cassation rappelle : pour que l'infraction de proxénétisme soit qualifiée, il faut en amont un acte de prostitution duquel une tierce personne tire profit par la suite.

Or, rappelle la haute cour, la prostitution n'a pas fait l'objet d'une définition par la loi. Elle n'a été définie que par la jurisprudence qui retient que la prostitution consiste à se prêter, moyennant une rémunération, à des contacts physiques de quelque nature qu'ils soient, afin de satisfaire les besoins sexuels d'autrui. La haute juridiction attire l'attention sur le fait que cette définition jurisprudentielle de la prostitution s'est limitée au contact physique. Elle n'inclut donc pas le contact virtuel de sorte que ne rentrent pas dans le cadre de la prostitution, des actes de nature sexuelle commis sans contact physique, moyennant rémunération, pour satisfaire les pulsions sexuelles d'une personne. D'ailleurs, précise la haute juridiction, la définition de prostitution telle que donnée par la jurisprudence n'a jamais été remise en cause par une quelconque autre jurisprudence, ni par le législateur qui, s'il voulait étendre la notion au contact virtuel, l'aurait fait au travers les récentes réformes législatives.

En clair, pour la cour de cassation, le comportement qui consiste pour les camgirls ou camboy à diffuser, moyennant rémunération, des images ou vidéos à caractère sexuel ne peut pas être qualifié de prostitution du moment où il n'implique pas de contact physique comme l'exige la définition de prostitution.

Pour ma part, la cour de cassation française a fait oeuvre de mauviette en rendant une telle décision. En effet, il convient de rappeler que la jurisprudence est une source de droit et de surcroît, une source créatrice de droit. En tant que telle, elle peut créer le droit là où se révèle une carence de la loi. D'ailleurs, c'est en vertu de cela, alors que la loi n'a pas défini la prostitution, la jurisprudence s'est substituée à elle et a donné sa definition.

Ainsi, au regard de la numérisation ou de la virtualisation à grande échelle des relations interpersonnelles, la cour de cassation se devait de se servir du pouvoir créateur de droit reconnue à la jurisprudence pour passer outre le classique du contact physique dans les relations entre personnes, en proposant une définition de la prostitution qui tient compte des réalités sociologiques de notre époque. En s'abstenant de le faire, la cour de cassation s'est montrée moins utile. Et l'on réalise davantage que la cour de cassation a manqué une occasion de faire oeuvre utile lorsqu'on s'aperçoit que la jurisprudence qui a défini la prostitution date de mars 1996, soit de plus de 25 ans déjà. Les rapports entre humains ont changé depuis lors et la cour se devait d'être progressiste que conservatrice comme elle l'a malheureusement démontré dans sa décision.

Par ailleurs, cette décision de la cour de cassation intervenue pourtant dans un contexte d'utilisation généralisée des TICs dans les rapports entre humains et dans tous les secteurs d'activités invite à repenser l'idéal de la jurisprudence en tant que source créatrice de droit. Ne doit-on pas, au-delà de la libre appréciation et de l'intime conviction laissée au juge, soumettre la jurisprudence a des conditionalités de droit ?

Télécharger l'arrêt de la Cour de Cassation ici !

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